Panique à la clinique - épisode 2
Souvenez-vous lecteurs : nous avions laissé Pétronille, emmitouflée dans son manteau en duvet, son col en polaire, sa tuque, ses mitaines, ses bottes fourrées à la laine de mérinos, faire le pied de grue pendant une demi-heure devant la porte de la clinique médicale, derrière 23 autres malades, certains venus avec des proches (ça aide, pour passer le temps).
Une fois la clinique ouverte par deux gentilles dames, tout le monde entre tranquillement et refait la queue devant le comptoir, au fond d'une grande salle pleine de chaises. Chacun à notre tour, nous remplissons un petit papier avec nos noms et adresses, et allons rejoindre nos infortunés congénères dans la salle d'attente brunasse, dans la promiscuité la plus totale. Pétronille trouve un siège vacant entre une grosse dame portant un masque médical dans lequel elle tousse allègrement (ce qui ne laisse rien présager de bon) et une joyeuse famille de trois enfants pleins de vie.
Il fait froid, tout le monde a gardé son manteau et ses gants de ski, moyennement pratique pour tourner les pages. Encore naïve et confiante, Pétronille extirpe Guerre et Paix de son sac et attaque le premier chapitre. Ceux qui ont été moins prévoyants se ruent sur les quatre revues écornées qui gisent sur une petite table basse, et les autres glissent dans un demi-sommeil.
Il y a quatre salles de consultation au fond d'un couloir beigeasse, toutes dûment numérotées.
Mais il n'y a qu'un médecin.
Dont la voix nasillarde et déformée résonne tous les quarts d'heure dans des hauts-parleurs :
"Madame X, salle 2"
"Monsieur Z, salle 2"
(au bout de 22 personnes, on a bien compris que c'était la salle 2, mais le médecin, vaillamment, continue d'en informer ses patients - ah pardon, ici on dit "clients")
L'heureux élu dont le nom vient d'être appelé, et qui somnolait un peu depuis 4 heures, engourdi par le froid, sursaute, ouvre des yeux éblouis ("est-ce vraiment mon nom que j'entends ? Je n'ose y croire...") puis se lève en jetant un regard de triomphe aux autres malheureux qui attendent, de plus en plus recroquevillés sur leur chaise, tandis que l'heure tourne...
...lentement...
...trèèèèèès lentement...
Chacun compte les autres personnes présentes dans la pièce et se répète comme un mantra : "plus que 19 personnes... plus que 18 personnes..."
Ah ah, ce serait trop facile, lecteurs, vous l'aurez compris. Ce serait compter sans les personnes qui sont déjà passées, et qui entre-temps sont allées faire des analyses (radios, analyse de sang), reviennent et passent à nouveau avant vous. Il ne faut donc pas compter 1/4 d'heure mais bien 20 à 30 minutes par personne avant soi.
La faim commence à se faire sentir vers 14h30. Heureusement, la salle d'attente communique directement avec une pharmacie, qui vend des chocolats, bonbons, barres de céréales et autres produits peu nourrissants, froids, mais réconfortants. La caissière affiche un grand sourire : on a envie de l'embrasser tant cette chaleur humaine est éloignée de la voix désincarnée qui continue à égrener des noms. D'un clin d'oeil complice, elle désigne les petites douceurs, que nous devons avaler rapidement entre deux rayons d'aspirine car il est interdit de manger dans la salle d'attente.
Puis vient la minute M : au bout du temps qui lui aurait fallu pour se rendre à Paris en avion, manger un bobun et boire un cognac même pas versé d'une mignonette, Pétronille est appelée :
"Pétronille, salle 2"
Ca tombe bien, j'avais fini Guerre et Paix il y a 3 heures et je commençais à m'ennuyer un peu.
Ca tombe bien, j'avais fini Guerre et Paix il y a 3 heures et je commençais à m'ennuyer un peu.
La nuit est tombée, il neige toujours. Par la baie vitrée qui donne sur la rue, on voit passer les bienheureux qui sont déjà sortis, titubant un peu, clignant des yeux de se retrouver à la lumière naturelle.
Pétronille entre dans la fameuse salle 2 à 18h01.
Le médecin de la 2e moitié de la journée ne parle pas français.
Enfin, pas trop.
Enfin, pas bien.
Ni très bien anglais, d'ailleurs.
Pétronille ôte son manteau, le tient au bout de son bras, ne s'asseoit même pas car déjà il la fait s'installer sur la table d'auscultation. Il passe brièvement la main sur son ventre, à travers ses habits (pour rappel, en ce jour frette, Pétronille porte un tee-shirt à bretelles, un tee-shirt à manches longues, et un gros gilet en laine) : peut-il vraiment sentir quelque chose à travers tout cela ?
Pas le temps de poser la question : il fait déjà signe de se relever.
Il est 18h02.
Alors docteur ?
Le docteur marmonne qu'il ne sait pas, qu'il faut surveiller, et "revenez me voir si ça ne passe pas"
Il est 18h03 : Pétronille est dans la rue (avec la larme à l'oeil, je peux bien vous l'avouer)
La morale de cette histoire est la suivante : si vous êtes malades, faites un aller et retour en France (ce pays où des créatures fantasmagoriques telles que les gynécologues existent pour de vrai), vous perdrez moins de temps (et la personne assise à côté de vous ne toussera pas dans votre cou pendant 8 heures).